Sophie Rousseau

Recherches terminées

© Philip Bernard
Chacun vaque à son destin

Au départ de cette recherche, une question (qu’est-ce qui est vraiment important dans la vie ?), l’envie de s’en emparer et d’y répondre. Pour cela, Sophie Rousseau a trouvé onze personnes âgées et douze jeunes qui ont accepté de passer par dessus leurs peurs, leurs certitudes de n’avoir rien d’intéressant à dire, et ont joué le jeu de s’écrire et de livrer une part de leur intimité dans des interviews, tout en sachant que ces lettres et ces interviews seraient le point de départ d’une recherche de plateau.

« Je veux trouver une forme qui parle de jeunes et de vieux, et de ce qu’ils ont à voir et à faire ensemble. Ce n’est pas l’intergénérationnel qui m’intéresse : je veux avant tout parler de la vie à différentes époques de la vie, et donc, par la force des choses, du temps qui passe et de la mort », commente Sophie Rousseau, avant d’ajouter : « Je ne sais pas ce que ça vous fait, à vous, mais moi, les vieux, ça m’émeut. Ça m’émeut de penser qu’ils ont été jeunes, cons comme on dit que les jeunes le sont, plein d’illusions peut-être, de désir et d’appétit certainement, et que le temps a fait son œuvre. Ça m’émeut de savoir qu’ils ne peuvent pas ne pas penser à la mort. L’âge leur donne une urgence à se pencher sur des questions que nous nous posons tous et que nous préférons parfois différer. (…) Sauf destin contraire évidemment, nous sommes ceux qui viendront après eux, et deviendront ce qu’ils sont : des vieilles personnes. Nous sommes ceux qu’ils regardent, le sourire en coin, parce qu’ils savent… Mais qu’est-ce qu’ils savent ? Qu’est-ce qu’on devient après l’expérience d’une vie ? Qu’a-t-on appris ? Qu’est-ce qui devient important, urgent ? Qu’est-ce qui fait la valeur de la vie ? (…) Qu’est-ce qui fait que ce n’est pas pour rien tout ça ? (…) J’ai envie que le plateau permette d’y penser. Je veux surtout qu’il donne envie de vivre intensément. Et il n’y a pas d’âge pour ça ! »

Quel chemin reste-t-il que celui du sang?

En 2009, Sophie Rousseau entame une série de laboratoires de recherche à La Rose des Vents et à La Ferme du Buisson, à partir de textes signés Jean Genet, Ulrike Meinhof, Franca Rame et Dario Fo. En mai 2010, elle entre en accompagnement à L’L et poursuit cette recherche qui aboutira en novembre de la même année à la création de Quel chemin reste-t-il que celui du sang ?, à La Rose des Vents.

Sophie Rousseau revient sur les origines de ce projet : « Le point de départ est un texte sur Ulrike Meinhof de Dario Fo et Franca Rame : Moi, Ulrike, je crie…

Dans ce travail, il ne s’agit pas de justifier la violence de la Fraction Armée Rouge mais de chercher à la comprendre. Ulrike Meinhof a empreinté une voie que je ne prendrais jamais mais je comprends son indignation, ses dénonciations et son rêve.

Par sa position radicale, ce membre de la ‘bande à Baarder’ pose des questions auxquelles il est juste de se confronter aujourd’hui. Quand un système est vécu de façon inégalitaire et sans espoir de sortie, comment s’étonner qu’il y ait recours à la violence comme mode de résistance ? A quoi correspond ce choix radical ? Pour notre génération, comment se fait-il que l’idéal politique d’une société plus juste semble à ce point utopique ? Quelle utopie nous porte alors ?

Autant d’interrogations qui ont jalonné la recherche. »

© Philip Bernard
© Sophie Rousseau
Roule ta route

« Tu as l’impression que tu as la vie devant toi, qu’à peu près tout est possible, tu ne penses pas à la mort, ou du moins pas à la tienne, tu la vois comme une perspective lointaine qui ne borne pas pour l’instant tes projets. Alors tu vis, tu fais ce que tu juges bon de faire, tu vas là où le hasard te conduit. Tu suis ton chemin, tu roules ta route.

Et un jour, sans savoir vraiment comment c’est arrivé, tu te rends compte que, dans un avenir pas si lointain, ton passé va déterminer ton futur. Tu n’auras plus tous les chemins possibles. Tu en auras suivi un et c’est celui-ci qui t’engagera pour la suite.

André Gorz a écrit qu’« Il faut accepter d’être fini : d’être ici et nulle part ailleurs, de faire ça et pas autre chose, maintenant et pas jamais ou toujours ; ici seulement, ça seulement, maintenant seulement – d’avoir cette vie seulement ».

Tu penses à ce qu’il écrit et tu te demandes quelle est « cette vie seulement » que tu te choisis. Tu regardes ton passé, tu réfléchis à ton futur, tu es dans un temps suspendu. Tu cherches le lieu acceptable où poursuivre ta vie. Tu sais que tu n’es pas la seule à te poser ces questions, tu te demandes comment les autres s’en débrouillent, ou comment ils s’en sont débrouillés. Tu en parles avec Georges qui écrit sur sa vie depuis 30 ans : des notes, des journaux, des petits textes…

Nous passons une journée à découvrir ensemble ces matériaux. Je suis plongée dans le récit d’une vie pour le moins singulière, hors des normes généralement en vigueur. Je suis touchée par ce Georges qui est là devant moi, intime, pudique, offert, drôle, libre, franc, gourmand, ému. Je veux continuer cet échange, le développer, écrire sur ce que ça éveille en moi, faire des interviews. Je veux éclairer ma question de la recherche du lieu acceptable à la lumière du parcours de Georges et de ses chemins de traverse. Je veux aller plus loin à sa rencontre et tenter de me trouver sur le chemin.

J’ai l’âge que Georges avait quand il a commencé à écrire sur sa vie. Il a trente ans d’avance. Je suis curieuse de voir comment nous allons nous croiser. C’est le point de départ de cette nouvelle recherche à L’L. Je ne sais où elle va nous emmener, mais je me dis : « roule ta route, tu verras bien ».

Sophie Rousseau

Biographie

Parcours à L'L

Suite à une proposition d’un partenaire de L’L à l’époque (Didier Thibault, directeur de La Rose des Vents, à Villeneuve d’Ascq), Sophie Rousseau rejoint en mai 2010 le processus d’accompagnement de L’L avec un projet déjà en gestation depuis 2009 (en partenariat également avec la Ferme du Buisson) autour de textes de Jean Genet, d’Ulrike Meinhof, de Franca Rame et de Dario Fo. Le processus aboutit à la création de Quel chemin reste-t-il que celui du sang ?, en novembre 2010, à La Rose des Vents.

En juin 2011, Sophie Rousseau entame un deuxième processus de recherche à L’L. Un processus fait de périodes de résidence largement entrecoupées pour permettre à l’artiste de prendre le temps nécessaire afin de cadrer plus précisément ses envies et intentions pour cette recherche qu’elle intitule pour l’heure, Roule ta route.

Après un processus de recherche (juin 2011 – octobre 2014) fait de périodes largement entrecoupées pour  prendre le temps de cadrer plus précisément ses envies et intentions, Sophie Rousseau a abouti au désir de création d’objets de plateau. Le souhait de les concrétiser arrête donc le processus de recherche à L’L pour donner vie à ses spectacles.

Après des études universitaires en Histoire, Sophie Rousseau se forme au théâtre par une fréquentation assidue des salles de spectacle et la participation à des ateliers dirigés notamment par Dominique Surmais, Jean-Michel Rabeux, la Cie Hendrick Van der Zee, Stephan Suschke ou Catherine Epars. Elle réalise ensuite de nombreux assistanats à la mise en scène : Lorent Wanson, Groupov, Pietro Varrasso, Alain Barsacq et, surtout, Jean-Michel Rabeux dont elle est l’assistante de 1999 à 2007.

En 2003, elle réalise à La Rose des Vents (Villeneuve d’Ascq) sa première mise en scène : Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, de Stig Dagerman. Trois ans plus tard, elle signe un second travail : Médée-Matériau, de Heiner Müller.

En 2007, elle devient artiste associée à La Rose des Vents – Scène Nationale de Lille Métropole et crée C’est trop délicieux pour être de chair et d’os, une adaptation de Roméo et Juliette de William Shakespeare.

En 2009, elle entame à La Rose des Vents et à La Ferme du Buisson, un laboratoire de recherche à partir de textes de Jean Genet, d’Ulrike Meinhof, de Franca Rame et de Dario Fo. Un processus qu’elle poursuit en entrant en résidence à L’L en mai 2010 et qui aboutit en novembre de la même année à la création de Quel chemin reste-t-il que celui du sang ?

Entre 2011 et 2013, elle mène deux projets de territoire avec la compagnie de Jean-Michel Rabeux à Bondy et à Pantin, et commence un travail avec des personnes âgées et des jeunes gens au Bateau Feu, Scène Nationale de Dunkerque, le tout en vue d’une nouvelle création, Chacun vaque à son destin. Un ouvrage éponyme retrace cette aventure intergénérationnelle, une petite forme scénique également, ainsi qu’un texte d’Antoine Lemaire inspiré par ces échanges.

Depuis, elle a créé un spectacle jeunes publics, L’Ondine du Lac, à partir du texte de Grimm, et continue de développer des projets de territoire avec la compagnie de Jean-Michel Rabeux, notamment à Pantin, Drancy et Bobigny.