Vinora Epp

Recherche en cours
La pratique du théâtre a toujours fait partie de mon monde. En 2018, c’est devenu mon métier — et ça, c’est un basculement qui, je n’allais m’en rendre compte que plus tard, n’était pas anodin.
Un jour de mars 2020, soudainement, on ne pouvait plus faire de théâtre — j’ai commencé à faire du pain au levain naturel. Le pain m’a alors permis de trouver (peut-être de retrouver) un rapport au temps et une sensation de création plus organiques et plus apaisés.
Depuis, je suis obsédée par la recherche d’un théâtre qui serait comme du pain.
J’ai en tête l’idée que joindre ces deux pratiques pourrait donner naissance à une troisième. Je l’imagine comme un lieu d’expression où le geste théâtral s’inscrit dans un rituel quotidien, humble, comme un repas, ou comme une prière.
Alors je pars en recherche à L’L avec un pot de levain naturel, que j’ai hérité des femmes de ma lignée. Le levain sera mon partenaire de recherche. Je le nourrirai quotidiennement, probablement en faisant du pain, et il me nourrira en retour — mais pas seulement via le pain que je mangerai. J’ai un jour été frappée de lire que :
« Selon une étude, non seulement une bonne partie de l’écosystème de levures et de bactéries d’un levain provient des mains du boulanger, mais le transfert est également bidirectionnel : un nombre accru de Lactobacillus (une des bactéries dominantes des cultures de levain) est présent sur les mains des boulangers après quelques semaines de fabrication régulière du pain ».
Cela me donne envie de croire que, quand on fait du pain, on fait partie du levain. On le devient. Un bout de notre corps l’intègre pour y rester (et quel bout, précisément, de nous part voyager avec ces bactéries et levures ?). Un bout de lui intègre notre corps pour y rester (et pour se loger où ?). On fermente ensemble. Quand on donne à quelqu’un à manger du pain que l’on a fait, c’est une partie de nous-mêmes que l’on donne à manger. L’acte de nourrir nous concerne bien au-delà du métabolisme, il entremêle nos corps et nos esprits.
Tout cela me fait penser à la double nature du pain : à travers le monde et l’histoire, il n’y a pas d’aliment plus quotidien, ni plus sacré. Le théâtre lui aussi possède une double nature : il reflète la société humaine en même temps qu’il nous brasse dans le mystère de l’existence.
Ils ont toujours été là, tous les deux. Et depuis le commencement, le théâtre et le pain ne nous apportent pas seulement connaissance ou nutrition, ils tissent des liens invisibles, et pourtant sensibles. Dans ce cheminement de pensée, je suis amenée à soupçonner qu’il existe dans ces deux matières quelque chose qui relierait la Vie à la Mort. Qui relierait notre vie terrestre et quotidienne à une énigme qui nous dépasse totalement. En travaillant ensemble pain et théâtre, guidée par mes intimes histoires, attirances et convictions, je voudrais éprouver ces liens silencieux de notre monde, peut-être pour goûter à ceux qui partent vers d’autres mondes.
Dans cette pratique simultanée, je pars explorer le lieu, insondable, entre le quotidien et le sacré.
Vinora Epp, juin 2025
1 SMITH Lexie, « What Sourdough Taught Me, in the Pandemic and Beyond », New York Times, 16 février 2024.
Photo: © Vinora Epp
Parcours à L'L
Suite à un dépôt de candidature, Vinora Epp entame un processus de recherche à L’L en juillet 2025.
Vinora Epp grandit parmi une compagnie de théâtre franco-américaine à Minneapolis (USA). À l’âge de 18 ans, elle part poursuivre des études de théâtre en France. Elle se forme à l’Université Rennes 2, au Conservatoire Régional de Lyon, puis à l’École de la Comédie de Saint-Etienne.
Depuis 2018, elle a eu l’opportunité de travailler en tant qu’actrice dans des théâtres nationaux à Bruxelles, Lausanne, Berlin et Vienne, ainsi que dans des théâtres nationaux, régionaux ou émergents un peu partout en France. En parallèle de son travail au théâtre, elle joue parfois devant une caméra, ou derrière un micro.
En 2024, elle signe sa première mise en scène, et marque un retour artistique aux États-Unis avec ORLANDO: A Rhapsody, une adaptation de Virginia Woolf, co-écrite et jouée avec son père, une performance en duo s’attelant aux thèmes du genre et de la fiction (autrement dit, à notre besoin d’identité, et à notre besoin d’histoires).
Quand elle n’est pas en train de pratiquer le théâtre, elle fabrique du pain au levain naturel, écrit dans un carnet, marche dans la nature ou dans la ville, s’organise en féministe marxiste, et pratique le chant grégorien.