Anne Thériault

Parcours à L'L

Sur l’invitation conjointe des trois partenaires de L’L à Montréal (Usine C, Circuit-Est centre chorégraphique et le département de danse de l’UQÀM), Anne Thériault a déposé un formulaire de candidature à L’L, en mai 2020. Après plusieurs échanges avec elle, nous avons décidé de faire un bout de chemin de recherche ensemble. Elle entame sa recherche à L’L, en janvier 2021.

Créatrice et performeuse singulière, basée à Montréal, Anne Thériault tisse depuis plus de dix ans des collaborations avec des artistes d’horizons multiples : avec le compositeur Martin Messier, elle cosigne Derrière le rideau, il fait peut-être nuit (FTA 2011) et Con grazia (FTA 2016) ; avec l’artiste visuelle Julie Favreau, la performance Doux (Actoral 2016) ; et avec la compagnie BOP, Quatuor pour la fin du temps (OFFTA 2017) aux côtés de Karina Champoux, Frédéric Tavernini et Dave St-Pierre.
Elle approche plus particulièrement le théâtre à l’occasion d’Ainsi parlait… de Frédérick Gravel & Étienne Lepage, et de La Fureur de ce que je pense de Marie Brassard.

 

Elle est membre fondatrice de Lorganisme, une structure pour chorégraphes. Elle est également artiste associée de l’Usine C, où elle y a récemment présenté son premier opus personnel : Récital (FTA 2018).
Actuellement, Anne Thériault travaille à de nouveaux projets en recherche, collabore avec plusieurs artistes en tant que conseillère artistique et se retrouve commissaire invitée pour l’événement COMPAGNONNAGE 21 de Danièle Desnoyers/Le Carré des Lombes, qui aura lieu en 2021.

Recherche en cours

Je suis une femme
âgée
de 39 ans.

Dans la vie de tous les jours, je danse, entre autres.
15 années intensives de pratique interprétative ; puis, ralentissement.
Toujours en forme, en santé.
J’ai commencé à écrire la danse autrement : en tant qu’auteure du vivant – avec une loupe chorégraphique. Poursuivant ainsi le développement de ma relation complexe avec la danse.

En mars 2020, j’entame une recherche à L’L, et articule ma réflexion autour de la vieillesse, de ma fantaisie à imaginer des futurs diversifiés et dansants pour mon corps.
Le vieillissement.
Nous sommes toutes et tous mué·e·s par ce mouvement infraliminaire. Je suis fascinée par cette action et par toutes les façons dont le temps qui s’accumule se manifeste dans le vivant. Je le pressens comme un mouvement chorégraphique, au ressenti diffus, se déployant à même la vie et aux longs termes de cette recherche.
Il me sert d’élément déclencheur à toute action et/ou réflexion lors de mes résidences. À partir du vieillissement, le champ de recherche « s’expand », avance, se déplace ; mon corps se décentre.
Ici, Old is the new new.
Je réfléchis au phénomène du vieillissement comme support à la mise en place de l’écriture chorégraphique que je tisse. Je tourne mon attention vers ce qui vieillit, aux présences sénescentes du vivant. Je m’éloigne de la rapidité et ralentis. J’absorbe les expériences des lieux, des rencontres, des lectures, et transpire des réflexions qui s’étendent lentement. À partir de ce fait inéluctable « nous vieillissons perpétuellement », je déplie des idées autour d’une danse de tous les âges ; une simple et vibrante célébration du corps, et de ses multiples présences approfondies par le temps. Focus sur ce qui vieillit, tout en prenant le soin de laisser jaillir tous les âges de la vie ; pas seulement ceux qui renvoient aux moment forts et référentiels de beauté et de performance, pour ne citer que ceux-ci.
Veiller à inclure tous les moments, discrets et essentiels.
Le vieillissement se pose sur le corps humain, telle une danse de tous les instants d’une vie. Ici, j’ai envie de célébrer cet acte. La peau qui se relâche et se plisse lentement, ces plis qui se multiplient, mais aussi le corps qui réagit différemment sous le poids de la gravité. Je souhaite que la danse qui « perle » soit insufflée par une chair sensible qui affirme son vieillissement pleinement.
Ma loupe est chorégraphique et convie cette force :
la vitalité (passer au travers de l’accumulation du temps). Je lui fais place pour mieux la percevoir, apprendre, et ainsi interférer* avec.
Étant seule en studio, j’écoute. Expérimente. Mets en pratique des idées et intuitions. De là, un ensemble de pratiques se révèle sur le temps, se déclinant en fragments, par des petits gestes, habitudes ou actions simples, mais toujours en lien avec l’idée du processus de vieillissement : pratique de la galerie**, du glissement, du pli, du bercement, du stretching, et plus encore. Ces pratiques éveillent mon corps et esprit à l’action, aux sensations et à l’imaginaire. Elles me transportent.
Je n’arrive pas toujours à saisir pourquoi.
Parmi ces découvertes devenues pratiques, presque rituels, certaines poursuivent leur chemin de mutations jusqu’à devenir procédés d’écriture chorégraphique.

S’est entamée, il y a plus de deux ans, une recherche dont l’objectif premier était d’apprendre sur la vieillesse. Se déploie désormais, en toile de fond, un remaniement complexe d’une méthodologie de travail.

Influencée totalement par où je suis rendue dans ma vie,
Âgée de mon âge,
Du cumul de mes présents vécus.
Influencée par ma naïveté face à ce que j’ignore encore de la vieillesse,
Par mon expérience du métier,
Par mon corps et mes hormones qui changent.
Influencée et fascinée.

Devenir maintenant demain.
Curiosités et paradoxes.
Ça me fait sourire
Et je me dis : « patience »…
C’est peut-être un peu ça, la pratique de longévité***

Je suis une femme
« multipliée »
de 42 ans
aujourd’hui.

Anne Thériault, décembre 2022

* Merci à Vinciane Despret pour ce verbe, cette réflexion tirée de son livre, Habiter en Oiseau.
** Une « galerie » chez moi, au Québec, peut désigner un balcon, une véranda, une bay window. La pratique que je nomme « de la galerie » se rapproche ainsi de l’expression, scèner su’l porche : s’asseoir confortablement dans sa chaise, parfois berçante, sur son balcon, à l’avant de sa maison ; témoigner de la vie et du temps qui passe devant ses yeux, rester là pendant des heures durant ; jour après jour.
*** Merci à Dubravka Ugrešić pour cette expression, et cette plongée dans le monde des sorcières avec Baba yaga a pondu un œuf.

 

© Louis Bouvier (2020)