Céline Estenne

Parcours à L'L

Après dépôt de candidature, Céline Estenne entame sa recherche à L’L en mai 2020.

Céline Estenne est née le 2 octobre 1986, soit 159 jours après l’explosion nucléaire de Tchernobyl. Mais bon, ça va.
Dans les années 1990, elle fait du modern jazz ; dans les années 2000, elle suit une formation littéraire à Paris, Montréal et Bruxelles ; dans les années 2010, elle étudie l’art dramatique au Conservatoire de Mons-Arts². C’est un peu résumé… Depuis son diplôme, elle a collaboré comme comédienne, dramaturge, co-autrice, assistante à la mise en scène ou performeuse avec, entre autres : Michaël Delaunoy (La jeune fille folle de son âme, Fernand Crommelynck), Anne-Cécile Vandalem (Que puis-je faire pour vous ?), Dominique Roodthooft (Thinker’s Corner), Anna Rispoli (Your Word in My Mouth ; A Certain Value) ou Lorette Moreau (Cataclop enzovoorts ; ({:}) imprononçable). Par ailleurs, elle mène un cycle de recherches sur la question du travail intitulé Travail Passion dont le premier volet, On avait de bonnes dents, projet participatif transgénérationnel, a été créé en novembre 2018 à Arrêt 59 (Péruwelz).

Ses multiples casquettes lui font dire, parfois, pour aller vite, qu’elle est « dans le théâtre », comme d’autres sont dans le béton ou les nouvelles technologies. Fieffé mensonge, puisqu’une bonne partie de son travail consiste précisément à sortir le théâtre du théâtre, à travers des projets in situ, pour l’espace public, ou en faisant des spectacles avec des personnes qui, elles, sont vraiment dans le béton ou les nouvelles technologies.
Globalement, on peut dire qu’elle s’intéresse à la façon dont l’intime est politique, ou plutôt, non, à la façon dont le politique vient se loger au creux notre intimité – mais, là encore, c’est un peu résumé.
En 2020, elle commence la batterie, les logiciels libres, et entre comme résidente-chercheuse à L’L. Elle n’est pas encore en mesure de résumer ce qu’elle a fait ensuite.

 

 

Recherche en cours

© D.R.

C’est quoi être sale / C’est quoi la crasse

L’hygiène contemporaine n’a aucun sens. Je prends ma brosse à dents : je l’ai depuis… boh… cinq, six semaines ? Disons six : quarante-deux jours, deux brossages quotidiens, trois minutes par brossage, cela fait quatre heures et douze minutes qu’elle déloge des résidus de nourriture, visibles ou microscopiques. Malgré le rinçage, je le vois – on le sait – une partie de ces résidus s’établit progressivement entre les poils de la brosse, jusqu’à en brunir les racines. Il y a transfert de crasse de la bouche à la brosse, mais la brosse continue de brosser, chaque jour un peu moins blanche. Voilà. Sans être dégoûtée de nature, je ne trouve pas ça logique-logique. Remarquons que ce paradoxe est également valable pour l’éponge de vaisselle. Pourtant les brosses à dents et les éponges de vaisselle n’ont jamais tué personne.

À contempler les résidus établis entre les poils de ma brosse à dents, je me dis que les gestes par lesquels on (se) lave n’ont rien d’évident, mais que ce sont des pratiques culturelles, des rituels socialement construits, qui ont leur part d’arbitraire. Et je me demande ce qu’ils veulent dire.

Qu’est-ce qu’on nettoie quand on nettoie ? Parce que, oui : on nettoie ! On lave, on purifie, on assainit, on évacue. Des cheveux, des fourchettes, des culottes, des carrelages, des légumes. Et d’autres lavent des enfants, des fleuves, des trottoirs, ma grand-mère.

C’est quoi, en fait, pour nous, être sale ? Qu’est-ce qui, exactement, est sale dans la saleté ? Qu’est-ce que ça fait, la crasse – sur mon corps, dans ma maison, dans la ville où je vis ? Qu’est-ce qu’au fond je fais quand je nettoie ? Quand je fais nettoyer ? De quoi je me défais ? Et que devient ce qui, ainsi soustrait, éliminé, évacué, n’a pour autant pas complètement disparu ?

Peut-être y a-t-il là un prisme privilégié par lequel nous interroger nous-mêmes, en tant qu’individus singuliers aussi bien qu’en tant que produits de structures sociales : interroger comment, dans des actes anodins qui font notre quotidien, dès le matin dans la salle de bain, dans la cuisine, puis dans la ville, au bureau, nous fabriquons de la hiérarchie. Un truc du genre : « Dis-moi ce que tu nettoies, je te dirai qui tu es ».

Céline Estenne