Mathieu Jedrazak

Texte de fin de recherche

Ma recherche s’est déroulée de novembre 2014 à septembre 2018.

Je suis venu chercher sur mes matières que j’utilise en tant qu’interprète et qui sont mes médium d’expression, à savoir voix, corps et violon/alto.

Puis plusieurs pistes de travail ont émergé: la notion de récital, l’auto fiction, les origines de ces disciplines dans ma vie, mes propres origines, le son…

J’ai mis une année avant de présenter des fins de résidences qui faisaient moins d’une heure, puis où je me permettais de couper et mettre en relief mon questionnement et ne pas faire ce que j’appelle un « Bloc spectacle ». J’ai mis deux ans à m’autoriser à ne rien montrer et à juste parler, j’ai mis trois ans à dire je n’ai rien trouvé cette fois-ci.

J’ai donc remarqué à quel point ce réflexe de montrer pour être aimé, compris et validé était ancré dans l’enjeu même de la création artistique chez moi.

Cela m’a permis de me décoller de ces présupposés qui finalement engluent assez souvent la recherche dans la monstration implacable qui suit tout acte de travail en studio pour bien valider en temps qu’artiste que l’on a bien utilisé l’argent à faire quelque chose de rentable, la bonne vielle loi du bouffon et du roi.

L’L m’a permis de réaliser que je venais pour moi et qu’il était à mon service.

Ce fut un lieu de ressourcement. Ce fut comme une retraite spirituelle du spectacle vivant.

Un temps on je prenais le temps de comprendre l’origine de mes motivations. Un temps où je repense l’origine même de mon geste artistique. Un temps qui est loin du tumulte de la production et des tournées, de l’avis d’autrui, et de mon propre avis finalement…

Il y a eu des phases très riches, et d’autres d’encéphalogramme plat ou de stagnation. Cette phrase ne sous entend pas qu’il y avait un but de rentabilité. Je parlerais plutôt d’un biorythme interne que je décelais petit à petit. J’arrive aujourd’hui à sentir quand c’est une bonne journée qui s’annonce, même le moment comme avant un orgasme où je me dis, là il faut que je monte au plateau, quelque chose arrive, il faut être là.

Et j’ai l’impression que c’est là un des grands mystères du but de ce lieu, ça serait de réussir à synthétiser quand allez vous trouver quelque chose que l’on attend pas. De manière globale, mais aussi très précise dans la sensation du corps. Qui n’est pas forcément explicable ou transmissible, mais qui fait partie du vécu interne de la boite à outil de chaque chercheur. Comme un geste acquis, un réflexe sensationnel, référence dans l’aléatoire de la recherche.

 

 

Qui dit recherche dit trouver:
Pour ma part je me suis convaincu que j’allais trouver quelque chose d’exceptionnel, d’unique, de jamais vu… sinon pourquoi chercher?

Le processus fut solitaire. J’étais seul, et j’ai réalisé que je l’étais déjà dans ma vie. J’ai réalisé que si j’avais choisis l’endroit du spectacle vivant c’était finalement pour être regardé. Et là j’étais le seul à me voir. Du coup j’ai du chercher plus loin.

L’L m’a permis de révéler et d’identifier mes systèmes de fonctionnement au plateau, mais aussi qui j’étais comme interprète, créateur, et aussi comme personne, mes obsessions, mes qualités, mes traits comportementaux, etc…

Je dirais que L’L m’a rendu autonome et m’a unifié. Tant sur le plan technique et sur les blocages que j’avais par rapport à mes différentes formations que sur mon efficacité à penser la matière que je présente, comment je la présente, quel copyright j’y mets. Je pourrais dire que cela a été un sanctuaire d’apprentissage de l’autonomie du spectacle vivant.

J’ai été touché par la remise en question de cette structure tant sur le contenu de ce qu’elle propose que sur le pourquoi constant de son existence et la façon d’en témoigner ou pas.

Elle m’a permis aussi de repenser le système économique dans lequel je m’inscrivais ainsi que de prendre conscience des réalités et des limites de celui-ci, notamment face à l’exposition trop précoce de travaux ou de soutiens financiers aléatoires et orientés.

Je me suis mis au centre de mon travail. J’ai allié l’interprète au créateur, ce qui me semble indissociable aujourd’hui.

Je ne peux plus travailler avec tout le monde aujourd’hui. Et ça c’est grâce ou à cause de L’L, je ne sais pas…

Le temps aussi a joué. Sur de si longs temps de recherche, on change forcément. Et je dirais que c’est ce qui est le plus intéressant et le plus dur, comment se reconnaitre encore dans certaines matières trouvées 5 ans plus tard. L’intérêt est que rien n’est figé, nous ne sommes pas au cinéma mais bel et bien dans le spectacle vivant.

Je suis conscient que ce rapport au temps dans la recherche à L’L est exceptionnel, en Europe et je pense dans le monde entier. Un studio, une garantie de pouvoir bosser comme tu veux et comme chez toi. Après je ne connais pas le monde entier, ça existe peut-être ailleurs dans une exo-planète mais c’est un peu ça en fait, c’est comme si tu venais d’une autre étoile une fois que tu es passé par L’L, d’une autre école aussi.  En tout cas un autre rapport au temps s’est instauré, un rapport à un possible aussi, qui du coup a existé. Même si L’L disparaît un jour, ça aura existé et ça continuera à exister. Comme les partitions des passions de Bach qui ont été perdues et brûlées en grande partie, c’est une perte énorme pour l’humanité, mais elles ont été jouées à l’époque, et donc elles existent toujours quelque part dans l’univers.

 

 Et donc quoiqu’il arrive après, L’L est en nous et ça aura des résultats plus tard, dans la transmission (par exemple comme pédagogue, dans des workshops tu formeras les gens par rapport à une certaine visée du spectacle, ou dans ton métier de créateur, interprète de ta création, l’autorisation à penser ta propre matière.

Après, en tant que créateur, quand je donne des cours de chant, L’L ne m’a rien appris techniquement au niveau du chant, mais par rapport au temps qui m’a été donné, je vois que quand j’ai des élèves, j’essaye de les révéler à eux-mêmes dans l’unicité qu’ils ont à offrir, leur atypisme aussi. Et donc je leur demande ce que eux viennent vraiment chercher dans ce parcours sur la voix. Avoir eu tout ce temps de réflexion aussi m’a permis de réagir différemment. Je n’avais plus le temps de réfléchir sur ma matière notamment vocale.

En fait, je ne peux pas calculer L’L ça m’a donné ça, ça et ça.

L’L m’a changé à un autre endroit. C’est dans des années qu’il faudra faire le bilan, ça va progresser. Par contre, je sais ce que je quitte quand je quitte L’L.

L’L est une utopie et donne aussi une façon politique de repenser le monde. Et puis je ne travaillerais plus jamais comme avant.

Il est nécessaire de perdre du temps sans culpabilité pour pouvoir ensuite en gagner.

Je pense que les profils qui sortent de L’L sont tous différents, variant aussi des époques auxquelles ils sont sortis. Cependant je pense qu’il y a une trace commune.

Ce que m’a laissé L’L avant tout, c’est de me dire qu’il y a toujours un possible ailleurs, et qu’il faut continuer de chercher et d’y croire.

 

Mathieu Jedrazak
Juin 2019

Recherche terminée

© D.R.

(sans titre)

« Au départ, je suis venu rechercher à L’L sur un projet intitulé www.Ma-flûte.com, en hommage au site « ma-queue.com » et, de manière générale, sur les zones de cruising, les délaissés urbains et le tiers paysages, en incluant des théorèmes mathématiques, des notions d’histoire de la musique, citant entre autres Bach et Ramanujan ; le tout avec un architecte et un flûtiste prof de math…
Puis, le projet a capoté car trop de matières, trop de talents, trop de temps aussi à L’L pour rechercher…
Après plusieurs discussions téléphoniques avec la directrice, Michèle Braconnier, qui était alitée à ce moment-là pour mal de dos aigu, nous avons convenu d’une nouvelle chance avant de me faire éjecter définitivement de la période essai de L’L.

Je résumerais nos discussions en ces quelques mots, qui m’ont marqué et en sont mon interprétation personnelle :

– Mais Mathieu, ici c’est un lieu de recherche, si tu sais déjà ce que tu veux, tu n’es pas au bon endroit. Viens ici, vierge de toute attente. Viens seul pour commencer, et tu verras. Tu es un faiseur de spectacle, mais qui est Mathieu Jedrazak au fond ?

Et en effet, elle avait raison : après avoir été interprète pour différentes personnalités du spectacle vivant, après avoir fait des objets spectaculaires par nécessité et impulsion, je n’avais jamais vraiment pris le temps de vivre cette introspection, sans un titre, sans un dossier, et sans un plateau à remplir…

Je l’en remercie.

Au final, je dirais simplement que la voix/voie est le fil conducteur de cette recherche…

Mathieu Jedrazak

Fin de recherche présentée le 6 octobre 2018 dans le cadre de Question de danse, à KLAP – Maison pour la danse (Marseille).

Biographie

Parcours à L'L

Mathieu Jedrazak a été en recherche à L’L de novembre 2014 à octobre 2018.

Mathieu Jedrazak (Lille, 06/01/1985, capricorne ascendant taureau).

Après un parcours en violon alto, musique de chambre et art dramatique au Conservatoire de Lille, Mathieu Jedrazak se forme au chant lyrique dans la classe de Daniel Ottevaere au Conservatoire de Valenciennes, et suit simultanément la classe de musique électroacoustique de Art Zoyd. Il poursuit en parallèle un cursus en danse à l’école des Ballets du Nord puis à Danse à Lille et suit des stages auprès de Julie Stanzak, Patricia Kuypers, Mark Tompkins… Interprète tous terrains, il a notamment travaillé avec Cyril Viallon, Emmanuel Eggermont (pour la pièce Vorspi), Matthieu Hocquemiller, Camille Mutel, Amélie Poirier, David Marques, Christophe Haleb, Jérôme Marin, la compagnie Détournoyment, les Fous à réactions, la compagnie TEC, l’ensemble le Madrigal, l’association Tournesol (artistes à l’hôpital)… Il est membre permanent du célèbre cabaret parisien Madame Arthur depuis 2018. En 2011, il fonde la Brigitte Nielsen Society, avec laquelle il crée des spectacles tels que Dommage qu’elle soit un boudin, Beatfromage, La jeune fille et la morve, Cœur, ainsi que trois éditions du festival Brigitte’s week.

Mathieu Jedrazak est en recherche à L’L, structure expérimentale de recherche en arts vivants basée à Bruxelles, depuis novembre 2014. Il a proposé une fin de recherche le 6 octobre 2018 dans le cadre de Question de danse, à KLAP – Maison pour la danse (Marseille), ainsi qu’une étape de création le 14 mars 2019 dans le cadre du festival Le Grand Bain organisé par le Gymnase CDCN (Roubaix), ainsi que le 06 avril 2019 à L’L, dans le cadre de Brussels, dance!